Sous les projecteurs du stade Louis-II, un nom commence à résonner avec insistance : Eliesse Ben Seghir. Dix-neuf ans, sourire désarmant et jeu insouciant, il symbolise à merveille cette jeunesse monégasque façonnée par La Diagonale. Mais derrière le maillot floqué du numéro 7, il y a une histoire faite de dribbles improvisés, de blessures surmontées, de racines marocaines revendiquées et d’un destin que rien ne semble pouvoir freiner.
Le goût des médailles
L’été 2024 restera gravé. Aux Jeux Olympiques de Paris, le Maroc arrache le bronze, et Eliesse Ben Seghir en est l’un des visages. Deux mois plus tôt, il sortait à peine d’une blessure. En mars, déjà, Walid Regragui, sélectionneur des Lions de l’Atlas, lui avait offert ses premières minutes en sélection A. Lui, l’ancien Bleu chez les jeunes, a choisi le cœur plutôt que la raison d’État. « Les racines l’ont emporté. La FFF a essayé de me garder, mais j’assume ce choix et je fonce. Pourquoi attendre quand on sait ce qu’on veut ? Quand l’équipe du Maroc t’appelle, c’est difficile de refuser », expliquait-il alors en conférence de presse.
Le gamin de Cogolin se nourrit de ce mélange d’héritages. Meknès par sa mère, Errachidia par son père. Et désormais, Monaco par l’adoption. En janvier, il prolonge jusqu’en 2027, symbole de confiance réciproque. Il goûte à l’Europe avec l’ASM, mais garde le regard clair : « Je vais essayer de remporter la Ligue 1 avec Monaco. Ensuite, il y a bien sûr des plus grandes compétitions que j’aimerais gagner, comme la Ligue des champions, qui est un rêve ».
Le soir d’Auxerre
28 décembre 2022. Auxerre-Monaco, reprise post-Mondial. À la mi-temps, un adolescent entre discrètement. Quinze minutes plus tard, le ballon est au fond. Dix minutes avant la fin, il récidive. Doublé. Rideau. Eliesse Ben Seghir n’a que 17 ans et vient d’entrer dans l’histoire du club.
« Le deuxième but à Auxerre, c’est exactement Eliesse. Quand je le vois, à la télé, rentrer sur son pied droit, je sais qu’il va enrouler et qu’il va frapper, c’était son truc », raconte Alexis Bourdin, son entraîneur au SC Cogolinois. Sa spéciale. “Je fais ça depuis que je suis petit”, confirme le principal intéressé. Le coach de l’ASM, Philippe Clément, n’a qu’une phrase au micro de L’Équipe : “Je vais le protéger.” Son frère Salim, joueur de l’OM, devant la télé, n’en croit pas ses yeux. « Mon téléphone explosait. Toute la famille m’a appelé, tout le monde se prevenait qu’Eliesse jouait ».
Ce soir-là, un inconnu devient promesse.
Héritages et fractures
Avant les lumières, il y a eu l’ombre. Le 7 juin 2019, son père Hami disparaît. Eliesse a 14 ans. « Il était en tournoi. C’est moi qui ai dû lui annoncer », souffle Alexis Bourdin, son éducateur de toujours à Cogolin. La cicatrice est profonde, mais elle soude encore plus les deux frères. Salim devient tuteur, confident, guide. « Ça a été une évidence comme j’étais le grand frère. C’était compliqué de l’encadrer. Ma mère est malade. Donc j’ai toujours été là. Il y a eu ma tante qui nous a aidés, mais après Eliesse a très bien compris et ça l’a forgée aussi. Ça l’a obligé à devenir mature plus rapidement. »
Le père, maçon discret, était aussi complice. Il le couvrait en douce quand il filait acheter des bonbons pendant les tournois. « On l’appelait Boulette. C’était son surnom depuis tout petit, parce qu’il ne faisait que manger des cochonneries. Il était petit, un peu rond », se souvient Bourdin. Boulette ou Merguez, au choix, ajoute son frangin. Les surnoms restent, le talent grandit.
Frères d’armes
Avant d’arriver dans la Principauté, Eliesse Ben Seghir passe des essais à l’OGC Nice pour entrer dans le centre de formation, mais le club ne le retient pas : « Quand il était plus jeune, les clubs se posaient un peu de questions liées à son physique », explique l’aîné Ben Seghir. Pas suffisant pour freiner un travailleur acharné, qui n’en a pas fait une fatalité. « Je l’ai vécu comme une étape de mon parcours. Il y a des échecs, il y a des réussites. Chaque échec doit te permettre de réussir plus tard. Je pense que c’est ce qui a fait que j’en suis là maintenant. Après, je suis très croyant donc comme on dit dans ma religion, c’est le mektoub (destin, ndlr). C’est-à-dire que sur ces détections-là, ils ne m’ont pas pris. Mais plus tard, ils ont voulu me prendre. Donc tout vient à point à qui sait attendre », analyse-t-il.
Mais Eliesse a un peu souffert de la comparaison avec son grand frère. « C’était tout le temps “c’est pas le même style de joueur, c’est pas le même physique, c’est pas les mêmes qualités. Et c’est vrai qu’ils étaient beaucoup comparés », explique Alexis Bourdin. Avec Salim, tout est compétition, complicité, miroir. L’aîné, joueur de l’OM, est plus posé. Le cadet, fougueux. « Eliesse, c’est encore un peu un foufou. Il est excité. Il fait encore quelques petites bêtises. Mais il commence à prendre en maturité, il commence à grandir. Ça me fait plaisir », glisse Salim. “Ça lui arrive de bouder parfois, mais c’est un garçon qui a un bon fond et il a toujours la banane”, assure Frédéric Barilaro, son entraîneur en U19.
Les comparaisons entre eux ont longtemps été un poids. Eliesse s’en est nourri. « C’était foot h24. Il s’entraînait avec moi, jouait avec mes amis plus âgés. Il voulait toujours se mesurer. » Aujourd’hui, les deux rêvent de se croiser, adversaires ou coéquipiers. En attendant, ils partagent un kiné, un préparateur physique et une relation fusionnelle. « C’est mon confident », résume Salim.
À Cogolin, tout se jouait entre l’école, le stade Georges Galfard et le bas de l’immeuble. « Même les jours de repos, ils étaient sur le terrain », sourit Bourdin. Le foot de rue, le vrai. Pas d’équerres, pas de tactiques, juste des gestes et de l’instinct. Ce goût-là, Eliesse l’a gardé. “J’aime Dembélé. Il joue comme au quartier, sans filtre. Je me reconnais dans sa fougue.”
Comme lui, Eliesse Ben Seghir jongle avec ses deux pieds. Comme lui, il improvise. Polyvalent, il se fond partout. « Mets-le à gauche, à droite, il s’adapte », confirme Salim. « Je l’ai même testé en tant que milieu récupérateur, il a cette intelligence du jeu. C’est un peu un joueur à la Griezmann. Il serait capable de jouer en 6 dès qu’il se sera étoffé au niveau musculaire », s’enflamme Alexis Bourdin.
Le socle
Derrière l’éclat, une famille discrète. Une mère courage, femme de ménage devenue mère au foyer, une tante présente, un frère protecteur. « Il a reçu une éducation solide. S’il garde cette mentalité, il ira loin », affirme Denis Moutier, éducateur au Pôle Espoirs.
Il se rappelle un garçon très proche de sa famille. « La maman est extraordinaire. Elle suit beaucoup le gamin, sa tante s’occupait beaucoup de lui. J’ai eu l’occasion de croiser son frère et ce sont vraiment de très belles personnes. C’est des jeunes très sympas qu’on aimerait croiser tous les jours ».
L’éducateur décrit un garçon respectueux, avec une éducation très solide. “On lui a inculqué des valeurs fortes même s’il n’a pas eu une enfance rêvée. Il sait d’où il vient. S’il maintient cette mentalité et qu’il ne se fait pas aspirer par un environnement négatif, il est sur de bons rails. C’est un garçon qui continue à vivre sa vie de jeune adulte sans vouloir trop en faire”.
Respectueux, poli, chambreur, parfois boudeur, il reste un jeune de son époque. Fan de mangas, de basket, de rap. « Niska, Tiakola, Werenoi, SDM », liste-t-il.
À Monaco, les plus grands le prennent sous leurs ailes, comme Aleksandr Golovin et Youssouf Fofana.
« J’ai eu la chance de tomber sur un groupe de bons vivants. Quand je suis arrivé, personne ne m’a fermé les portes. Ils m’ont tous très bien accueilli. Ils ont été gentils avec moi, ils m’ont pris sous leur aile et c’est ce qui a permis ma rapide intégration », explique le joueur.
À Cogolin, il revient souvent, pour souffler, pour parler aux plus jeunes : « Croyez en vous, travaillez, rêvez »; Un conseil simple, comme lui. Et l’histoire d’un enfant de 19 ans, médaillé olympique, numéro 7 sur le Rocher, qui n’a pas fini d’écrire ses chapitres.
Gnamé DIARRA